Le fils du célèbre dramaturge algérien Yacine Kateb livre un nouvel album qui est autant une ode à l'Algérie, son pays natal, qu'un chant pour la liberté et la démocratie.
Pour Amazigh Kateb, 2012 était l’année des chiffres ronds. Le musicien-chanteur qui a fêté ses 40 ans, célèbrait aussi les 20 ans de son groupe Gnawa Diffusion.
Après la dissolution de la bande et une parenthèse en solo avec l’album Marchez noir, Amazigh Kateb et ses acolytes offrent à leurs fans un nouvel album Shock el Hal —Epine de l'âme, en arabe— que certains n’attendaient plus.
Une nouvelle livraison dans laquelle on retrouve les ingrédients qui ont fait le succès du groupe franco-algérien. Car des deux côtés de la Méditerranée, Gnawa Diffusion a bercé et fait danser plusieurs générations sur des airs mêlant chaabi, reggae et musique gnawa. Le tout porté par des textes en français et en arabe qui ont su faire mouche auprès de la jeunesse maghrébine.
Quand on demande à Amazigh Kateb ce qu’il retient de ses 20 ans de carrière, il répond dans un rire: «J'ai vieilli!»
Il a peut-être pris de l’âge, mais dans son sourire comme dans son regard, c’est la fougue de la jeunesse qu’on devine.
De son propre aveu, c’est «un sanguin». Et malgré toutes ces années, il a «toujours l’impression que c’est le premier album, que c’est la première tournée. C’est toujours le même trac, la même adrénaline», confie-t-il.
D’ailleurs, encore aujourd’hui, il raconte que quand il rentre sur scène, il y va «un peu en marche arrière».
«C’est toujours unique, un concert, tu ne sais jamais ce qui va se passer, tu ne peux jamais reproduire exactement la même ambiance ni les mêmes morceaux exactement. C’est une alchimie spéciale.»
La scène, c'est aussi l’occasion d’un échange et d’une discussion avec le public, toujours sur le fil du rasoir.
«Le public est une drôle de bête. C’est plusieurs têtes qui peuvent être toutes ensemble d’un coup mais qui peuvent aussi être toutes réfractaires à ton discours en même temps. Tu peux très bien emmener les gens avec un mot, comme te les mettre à dos en un mot.»
Poétique du cœur
Heureusement pour lui, les mots, il sait les manier. Car qui connaît Amazigh Kateb, sait que derrière les notes, il y a le message. Si le retour de Gnawa Diffusion est une retrouvaille musicale, c’est aussi une volonté de réagir aux printemps arabes.
«Ce qui me gênait beaucoup dans tous les mouvements qu’il y a eu dans le monde arabe, c’est que, au final, ça a été une sacrée reprise en main des régimes et des armées. C’est-à-dire qu’on a fait croire au monde que c’étaient des colères populaires. Ce n’est pas faux, car la colère populaire existe. Mais la façon dont elle a été traitée médiatiquement et canalisée politiquement puis récupérée ensuite par les barbus dans la plupart des pays du monde arabe, c’est une chose à laquelle je ne peux pas être insensible.»
Le chanteur a donc voulu «apporter une parole qui ne soit pas partisane, qui ne soit pas une parole d’un côté ou de l’autre, mais qui soit une parole qui vient d’en bas». Une parole «du cœur», plus poétique que politique, et qui «rend d’abord hommage aux gens qui ont divorcé avec la peur». Parce que pour lui, c’est là que se trouve l’essentiel:
«La véritable révolution dans le monde arabe, c’est d’abord qu’on a vaincu la peur des régimes. Aujourd’hui, la peur a changé de camp.»
Un constat qu’il a pu faire, en Algérie, où il a passé son enfance et une partie de l’adolescence.
Amazigh Kateb est convaincu «que [les Algériens] ont exactement la même colère que les Tunisiens, et ils ont la même peur qui est tombée. Il y a un véritable changement qui est en train de s’opérer», même si «socialement, ce n’est pas forcément toujours spectaculaire».
Il faut dire que l’histoire n’est pas la même entre les deux pays voisins. Pour Amazigh, la raison de l’absence de mouvements populaires massifs prend racine dans la guerre civile qu’a traversé son pays.
«L’Algérie est épuisée. Elle a saigné, elle a enterré ses morts, elle est encore dans un processus de deuil. Tu sais que tu peux faire le deuil d’un frère, d’une mère ou d’un père, mais tu ne peux pas faire le deuil d’un endroit où tu vis et que tu as vu taché de sang. Et malheureusement, les Algériens ont vu la mort sur leur lieu de vie.»
C’est ce qui explique selon lui que les Algériens n’ont «plus envie de se battre». Mais nuance-t-il, «ils n’ont plus envie de se faire avoir non plus!»
Une fatigue réelle de la population donc, mais aussi une forme de vitalité que le chanteur qualifie de plus «réfléchie».
«Il y a beaucoup de choses pour l’environnement qui se font en Algérie actuellement. Les gens attaquent par d’autres biais pour améliorer leur quotidien, pour améliorer la société.»
Un héritage pas comme les autres
Pas étonnant cet engagement, quand on a grandi sur les planches d’un théâtre politique. Car Amazigh, qui se qualifie lui même d’animal politique, est le fils de Yacine Kateb, dramaturge et écrivain, monument de la littérature du monde arabe.
Si Amazigh Kateb affirme que cet héritage est loin d’être un «fardeau», on sent que cela a toujours un impact fort sur sa vie.
«Je suis super fier de l’héritage de mon père. C’est quelque chose qui me dicte une certaine conduite. Ce n’est pas de la mégalomanie, mais je me sens toujours observé par mon père.»
A tel point que le chanteur peut se «sentir déviant personnellement» s’il fait quelque chose «qui est en dehors de ce que [son père lui] a appris».
Un héritage qui a également joué sur Amazigh en tant qu’artiste. Et notamment lorsqu’il s’est essayé à la musique en solo.
«J’ai pas mal lu mon père pour écrire Marchez noir», explique-t-il. Une lecture ressentie comme un besoin pour celui qui dit n’avoir «jamais fait le deuil» de son père.
«Tout simplement parce qu’il n’est jamais mort. Il a laissé des écrits très vivants, très actuels, et qui me parlent, j’ai grandi là-dedans. Régulièrement, je le fais revivre. Ne serait-ce que le fait de le lire, ça me réimprègne de sa parole.»
S’il a choisi deux textes qu’il a mis en musique, Amazigh Kateb précise cependant à propos de cet album:
«Ce n’était pas un album hommage avec uniquement des textes de mon père. Ça, j’aimerais bien le faire. Je ne sais pas si j’en serais capable, mais c’est un projet qui me trotte dans la tête.»
«Notre culture est profondément révolutionnaire»
Des projets, il en a plein en tête. Pourquoi pas un retour définitif en Algérie, par exemple? Son arrivée en France, à l’adolescence, ne devait être qu’un passage, le temps des études.
Et puis «il y a eu 1988 et tout le bordel en Algérie. J’ai été appelé à l’armée… j’y suis pas allé. Donc je n’ai pas pu rentrer pendant 10 ans. Deux ans de service national pendant le terrorisme, bonjour!» S’il entretient un rapport «complexe» et «passionné» avec ses deux pays, Amazigh Kateb aimerait «bien rentrer» dans celui de son enfance.
Et là encore l’engagement n’est pas très loin. Car son retour s’accompagnerait d’un nouvel objectif, le «combat pour la culture» qui revient à mener «un combat pour la parole libre».
Concrètement? Il aimerait «monter un institut, former des techniciens, former des musiciens, former des formateurs. Il y a aussi tout le pan associatif à développer. En Algérie pour monter une association, c’est la croix et la bannière. C’est comme si tu montais un parti. Je crois même que c’est plus simple de monter un parti».
Des carences et des obstacles qui n’étonnent en rien le chanteur.
«Notre pouvoir sait très bien que le jour où il laissera la culture s’exprimer, ce sera le langage de la révolution qui prendra le dessus. Notre culture est profondément révolutionnaire. Notre mythe fondateur, c’est la révolution algérienne.»
Il nous avait prévenu, Amazigh Kateb n’a pas fini d’être un «animal politique».
Sara Taleb
Source : SlateAfrique
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